Cet article a été originellement publié dans La Presse+, le 3 avril, 2016.
Depuis cinq siècles, nous refusons l’assimilation, et nous continuerons de le faire
De Jason Edward Lewis et Skawennati
À l’adolescence, nous avons découvert la littérature de science-fiction. Nous nous sommes passionnés pour les univers fantastiques, les sociétés insolites, les cultures extraterrestres et les technologies fabuleuses qu’elle décrivait. Les années ont passé, et nous avons remarqué peu à peu que les Premières Nations brillaient par leur absence dans ce monde futuriste. En fait, on n’y voyait pour ainsi dire aucune personne de couleur.
Cette omission des autochtones dans la science-fiction l’indiquait on ne peut plus clairement : les avenirs exaltants qu’imaginaient écrivains et artistes, que bâtissaient savants et ingénieurs, ne nous réservaient aucune place. Plusieurs décennies se sont écoulées depuis. Aujourd’hui, nous travaillons auprès de jeunes autochtones pour qui il est évident que la culture dominante ne voit pas de possibilités en eux.
Quand nous leur parlons ou quand nous lisons les comptes rendus de la recherche universitaire, nous constatons le lien entre ce gommage et les tristes statistiques qui hantent les membres des Premières Nations : plus fort taux de décrochage, plus fort taux d’incarcération et plus fort taux de suicide, pour n’en nommer que trois.
L’auteur kiowa N. Scott Momaday a écrit que la plus grande tragédie qui puisse nous frapper est de devenir inimaginé (« the greatest tragedy that can befall us is to go unimagined »). Eh bien ! Une tragédie a déjà frappé les autochtones : vivre dans une société marquée par l’avidité pour la terre et les ressources naturelles, la haine à l’égard de nos cultures et le génocide de nos peuples. Ces faits récusent toute notion voulant que les colonisateurs canadiens évoluent dans un monde équitable, juste pour tous ; ce principe pervertit toute institution qui en découle. Aussi, aucun geste d’excuse ou de réconciliation ne saurait rectifier la situation.
Pour remplacer cette assise endommagée, nous devons tout réimaginer. Nous utilisons le terme « imaginaire de l’avenir » pour décrire ces idées qui viennent communément à l’esprit quand nous envisageons un futur lointain ou des éventualités comme les scooters de l’espace, les gènes sur mesure et les voyages intergalactiques.
Le pôle de recherche sur les initiatives d’avenir autochtone vise donc à instaurer une collaboration avec les membres de nos communautés et à peupler cet imaginaire de l’avenir avec des autochtones présents, essentiels et responsables de leur destinée. Il est impératif que les membres des Premières Nations imaginent comment évolueront et s’épanouiront leurs cultures. Ils doivent à la fois maintenir la continuité avec le passé et explorer de nouvelles expressions culturelles qui leur permettront non pas de survivre, mais plutôt de prospérer.
Au pôle de recherche sur les initiatives d’avenir autochtone, nous effectuons ce travail de diverses façons. Ainsi, des artistes illustrent des lendemains autochtones différents ; des penseurs et des intervenants animent des présentations publiques sur leur conception dynamique de toute chose future – de la gouvernance autochtone à la souveraineté alimentaire, en passant par la langue ; et de jeunes autochtones participent à des ateliers où ils développent leurs compétences et acquièrent la confiance que nécessite la construction d’un avenir où ils se voient.
La société coloniale doit réinventer sa relation avec nous, créer des rapports qui ne sont pas uniquement fondés sur des excuses.
Revoyez les traités qu’ont signés nos deux peuples. Quand vous en aurez pris connaissance, vous comprendrez que nous, amérindiens, ne demandons pas de « cadeaux » : nous exigeons plutôt que l’on nous paie ce qui nous est dû.
Quand vous constaterez à quel point les cadres juridiques et religieux que vous avez apportés d’Europe ont extorqué à nos gens leur humanité, vous mesurerez notre colère. Quand vous consulterez ne serait-ce qu’une fraction des lettres d’appel, des revendications territoriales et des poursuites que nous réitérons sans grand succès depuis des centaines d’années, vous saurez pourquoi nous sommes exaspérés.
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